Dans le dernier épisode de cette effrayante série, nous avons laissé nos héros (saint Louis, Solcum et leurs compagnons) alors que, dans le passage noir menant au champ de bataille contre Ornicalc, ils se trouvaient devant un monstre hideux.
Solcum prononça avec force plusieurs mots dans une langue étrange, que saint Louis ne connaissait point. Ce n'était ni du latin, ni du grec, ni de l'allemand, ni aucune autre langue qu'un homme mortel eût pu parler; car les sons en étaient curieusement fluides, harmonieux, presque comme de la musique. Et la bête le regarda en sifflant, car dans ces mots était un commandement, rappelant la royauté d'Ëtön.
Louis espéra que cela suffirait à la dompter, et à la faire rentrer dans son terrier, mais ce ne fut pas le cas: elle resta devant eux, droite et grande, et ses yeux brillaient d'un éclat intense, en fixant le fils de Segwän. Et ils ne clignaient point, et le feu sembla redoubler de force; une haine sans doute pénétrait l'être immonde, au souvenir d'Ëtön et des siens.
Pourtant, ces mots de Solcum semblèrent repousser les ténèbres qui entouraient la bête comme une brume. Et Louis et ses cinq compagnons sentirent leur cœur s'alléger. Une main qui pesait sur eux avait comme desserré son étau.
Les plus vaillants, outre Louis, étaient Alphonse et Charles, car la force de leurs chevaux les maintenait courageux eux-mêmes, comme s'ils la leur eût communiquée. Sentant leur monture rester ferme, ils étaient plus hardis.
Ils tirèrent leurs épées du fourreau; Louis fit de même. À leur tour Simon, Imbert et Thibaut firent briller dans leurs mains les lames qu'avait bénies l'évêque de Paris, Guillaume d'Auvergne. Les lettres gravées sur elles, chères à leur cœur, vouaient leurs épées à leur saints de prédilection; et ils les virent s'allumer, et leur courage revint. Le monstre alors cligna des yeux et les tourna vers eux, comme si l'éclat de ces lames l'offusquait. Et sa bouche s'ouvrit grande, devint énorme, et voici! six serpents en sortirent, qui s'élancèrent vers les six hommes mortels: Solcum avait été excepté, protégé, peut-être, par les mots qu'il avait prononcés, et son titre d'homme d'Ëtön.
Les six vaillants de France levèrent leur écu pour empêcher les serpents, qui étaient noirs et féroces, de les saisir. Mais ils s'enroulèrent aussitôt autour de leur bras et de l'écu. Et, malgré les mailles et la broigne de peau de cerf, ils sentirent, lorsque les serpents touchèrent leurs bras, comme une brûlure atroce, et ils eussent durement souffert, si Solcum ne s'était élancé, et, plus vif que l'éclair, faisant tournoyer son épée, n'eût tranché la tête de trois de ces serpents, ceux qui étaient parvenus à s'enrouler autour des bras, quittant l'écu. Les trois autres étaient maintenus par celui-ci, et la lame vive des chevaliers. Or l'épée de Solcum avait été si éclatante, dans son mouvement rapide, que Louis crut qu'elle s'était changée en feu.
Il était l'un des trois qui étaient parvenus à maintenir leur serpent sur l'écu, sans qu'il progressât sur le bras ou vînt sur le cou, comme c'était son but. Il s'était produit quelque chose d'étrange. Dès que le serpent avait touché l'écu, la croix suspendue au cou du roi de nouveau s'était mise à luire, et le serpent avait eu un mouvement de recul et d'horreur, et, précautionneux, comme s'il craignait ce bijou, ondulait sur l'écu en poussant des sifflements, attentif au coup qui lui serait donné et se préparant à l'esquiver. Une crainte mêlée de colère était en lui, donnant à ses mouvements des coups saccadés qui trahissaient son excitation. Dès lors Louis put lui trancher la tête de sa bonne épée Sédrilen.
Imbert et Charles se débattaient avec leur ennemi, et le premier put s'en débarrasser comme l'avait fait Louis, étant jeune et plein de vigueur, mais Louis dut venir en aide à son frère, et il donna un coup d'épée qui arracha le serpent de l'écu et le fit tomber à terre. Or, le cheval de Charles alors bondit et le piétina, le faisant mourir et le déchirant de son sabot étincelant.
Le phénomène étrange qui s'était déroulé lorsque la croix de Louis s'était illuminée n'avait pas échappé au monstre, ni à Solcum. L'Immirth en parut surpris, et, soudain, inquiet; l'œil de l'homme d'Ëtön s'alluma, comme si un espoir était né en lui.
Mais cela ne dura qu'un instant; le monstre chassa apparemment de son esprit la pensée qui y était venue, car aussitôt il se déploya et étendit ses ailes et ses bras, qui étaient au nombre de six, mais qui ne différaient pas de ses jambes, de telle sorte qu'il était pareil que les araignées, en ce qu'il avait huit bras. Sa rage semblait décuplée par la résistance des chevaliers.
Or, il était si furieux, et si surpris par la vaillance de ces mortels, qu'il en oublia Solcum, qui se tenait à sa droite. Et celui-ci, qui déjà avait rencontré quelques-uns de ses pareils, ne lui laissa pas le temps de lancer devant lui ses ongles semblables à des lanières de feu. Il bondit, et asséna sur son dos noir un coup de son épée étincelante.
Un cri terrifiant sortit de la gueule énorme du monstre. Il jeta deux mains vers Solcum, qui, protégé par son armure, ne fut pas transpercé par les longs ongles, mais projeté sur le mur derrière lui, son cheval tombant à terre.
Cependant, Imbert, n'écoutant, comme on dit, que son courage, s'élança à son tour, et abattit son épée sur le bout d'une de ses mains gauches, à la base d'un des ongles-lanières. Et le coup fut si vigoureusement asséné qu'il trancha le doigt infect.
Sur ces mots, chers lecteurs, il faut laisser là cet horrible récit de bataille.