Dans le dernier épisode de cette terrifiante série, nous avons laissé saint Louis et ses six compagnons alors qu'ils avaient commencé à traverser un dangereux passage que des monstres hantaient.
Les parois de pierre étaient lisses, noires, ruisselantes, et très rapprochées. Elles ressemblaient à des murs que le temps, en les usant, eût rendu tels que des falaises naturelles. Comme le passage était étroit, les chevaliers étaient contraints d'aller les uns à la suite des autres, en une file; s'ils s'arrêtaient, deux pouvaient se mettre côte à côte, mais lorsque les chevaux avançaient, ce n'était point possible, car ils se fussent gênés.
Le chemin n'était pas droit; il ondulait entre des pierres écroulées, et il fallait contourner des morceaux des parois qui s'étaient détachés, ou parfois passer par dessus, en grimpant, ou en sautant. Alors ils devaient prendre quelque élan.
Le long des murs, bientôt, ils virent des ouvertures, à présent irrégulières, mais qui avaient été, jadis des arches soigneusement découpées. Des traces d'ornementation se voyaient encore.
Saint Louis regarda avec étonnement ces sortes de puits latéraux, et Solcum se retourna vers lui et plaça le doigt sur la bouche, afin qu'il ne s'enquière pas de ce qu'il en était, et que nulle parole ne franchît la porte de ses lèvres. Louis pensa qu'il s'agissait sans doute des loges destinées aux gardiens qui se tenaient là au temps glorieux où les Immortels du Ciel et les Immortels de la Terre se rencontraient en passant par cette route. Il se demanda si elles contenaient encore quelque chose, du mobilier, ou des êtres, et si c'est là que vivaient les êtres malfaisants dont avait parlé Solcum. S'il en avait été autrement, du reste, eût-il reçu l'injonction de ne pas prononcer un mot? Il sentit une angoisse pénétrer dans son cœur; un silence pesant régnait en ces lieux. À présent, il lui semblait, même, que le pas de ses chevaux était étouffé, comme s'il s'était posé sur de la terre meuble, ou qu'un brouillard épais empêchât les sons de se répandre. On voyait pourtant clairement devant soi; mais l'air réellement s'était épaissi. Les hauteurs de la montagne paraissaient se rapprocher, à leur sommet, et former un poids sur ses épaules et celles de ses amis.
Il se sentit scruté; un regard fiévreux jetait d'en haut ses flèches. Louis eut de la peine à faire avancer son cheval, qui ralentissait; il n'osait bouger, pour le frapper de ses éperons. Un sort avait dû lui être jeté. Il tenta de se recueillir en lui-même, et d'y trouver la force qui lui avait été ôtée. Il songea à saint Martin, dont les vertus avaient si souvent secouru les rois. Sa puissance rayonnait-elle encore, dans ce pays étrange? Hélas! comment pouvait-il en douter? Ne la tenait-il pas de Jésus-Christ, le roi du monde?
Soudain, d'une des ouvertures latérales vint une odeur infecte, qui bientôt devint insupportable. L'air en fut saturé, et une ombre descendit sur l'âme de Louis. Une obscurité se fit autour des sept braves. Et d'une ouverture, une ténèbre plus noire encore s'exhala. Il sembla au fils de Blanche que l'ombre s'était cristallisée, solidifiée, qu'elle avait pris forme et s'était épaissie, pareille à une fumée qu'eût mue une volonté propre. Son cheval recula, hennit, frappé de terreur. Les autres chevaux venus de France eurent la même réaction; seuls les trois chevaux venus des écuries d'Ëtön, et que montaient sire Solcum, sire Charles et sire Alphonse, se tinrent calmement sur leurs pieds, étant de nature fée. Déjà sans doute ils avaient croisé et combattu ces êtres incertains, nés de l'abîme. Et puis n'étaient-ils pas nés de Timaldír, seigneur du vent d'Ouest?
Louis maîtrisa son fidèle coursier, qu'il nommait Crin de Neige, parce qu'il était blanc, et qui était, tout de même, l'un des plus courageux et vaillants de tous les chevaux mortels, et, de la nuée sombre, il crut voir une forme distincte apparaître, qui le fit se plier en deux. Car dans son ventre s'était créé à cette vue un vide; un froid était entré.
Quatre points flamboyants, rouges et ardents, s'allumèrent au sommet de l'apparition; il s'agissait sans doute d'yeux.
Les contours du corps ne ressemblaient à rien de ce que Louis avait vu sur Terre, ni aux monstres qu'il avait déjà combattus et dont les jambes étaient des tentacules. C'était pourtant un trait commun avec cet être-ci; mais la silhouette générale était différente, et les jambes, effilées, n'étaient point posées sur le sol mais suspendues dans l'air proche.
Au-dessus de ses épaules des jets continus de feu noir figuraient des ailes. Et quand sa bouche s'ouvrit, Louis la vit immense, et luisant d'une lueur de braise, en ses profondeurs.
Avait-il des bras? Il se dilatait sur les côtés en tentacules effilés, qui ne semblaient point avoir une forme régulière. S'agissait-il de ses ongles? Au bout, comme de longues lanières brillantes fouettaient l'air.
Dans ses ailes déployées il vit bientôt des reflets bleus, comme si une puissance secrète les habitait, qui ne fût pas simplement de l'ombre. Un reste de grandeur, de la gloire passée, hantait cette forme qui respirait la haine, le dépit, le goût du sang. Car pour elle, il faut le savoir, les races qui avaient succédé à la sienne n'étaient rien; elles devaient seulement la nourrir, l'alimenter, la maintenir en vie. Et les temps qui l'avaient plongée dans les ténèbres et donné le gouvernement du monde aux hommes immortels étaient injustes, et marquaient la volonté de dieux faux, de dieux traîtres, qu'un jour le destin ferait disparaître. Aussi était-elle sans pitié.
Mais cet épisode commence à être long; la prochaine fois, nous assisterons à une furieuse bataille avec cêt être!