Chers lecteurs, dans le dernier épisode de cette série incroyable consacrée au plus saint des rois de France après Charlemagne, nous avons laissé le démon Ornicalc alors qu'il constatait que son armée, qui faisait le siège d'Ëtön le roi elfe, était déboutée – mise en fuite.
Il se demanda que faire, et s'il devait aller lui-même au pied de la forteresse pour la mettre à bas – ou le tenter, du moins. Mais le pouvoir étonnant que manifestait de loin Ëtön ne laissa pas de l'inquiéter suffisamment pour le faire renoncer à ce projet, et lui faire plutôt décider de consulter son maître Mardon, grâce à la boule de cristal qu'il conservait dans une loge reculée de son palais, un temple secret. Car Mardon était pour lui tel qu'un dieu, et il vivait dans une autre dimension, de la même façon qu'Ornicalc vit dans une autre dimension par rapport à nous, et est tel qu'un dieu – mais un dieu déchu, un dieu mauvais.
Cependant, il lui fallait, pour communiquer avec lui, retourner dans son palais, et entrer dans cette loge secrète, ce temple occulte lui servant pour ainsi dire de chapelle, ou de porte interdimensionnelle. C'est alors que la retraite fut sonnée.
Et le carnage fut sans égal, car les elfes d'Ëtön, profitant de la fuite des monstres, les poursuivirent et les tuèrent presque tous, talonnant même Ornicalc et sa garde personnelle, faite de chevaliers-fées renégats et de monstres ailés mêlés d'elfes, d'êtres hybrides affreux mais puissants. Car, aussi bien mages que guerriers, ils étaient rusés et ardents; mais, malgré toute l'étendue de leurs pouvoirs, ils eurent le plus grand mal à protéger leur maître.
Dès, cependant, que celui-ci put refermer sur lui les portes de sa forteresse, laissant derrière ses gardes les plus forts, l'armée d'Ëtön fut arrêtée, car le sortilège de la place était grand, et les gardes en bénéficiaient, leur puissance était décuplée, des rayons sortaient de leurs yeux, des éclairs de leurs mains, et leurs épées étincelaient. Les gens d'Ëtön durent se contenter d'achever les monstres ordinaires qui, tournant autour des murs, étaient une proie facile: pour se sauver, Ornicalc les avait sacrifiés, les laissant à la merci de l'ennemi, égoïste et sans pitié. Les portes étaient closes, et nul ne pouvait plus entrer, car un sort les maintenait fermées, qu'aucun elfe ordinaire ne pouvait rompre, car Ornicalc en avait reçu laformule de Mardon lui-même, fils des hauts anges, et prince des anges déchus. Sa puissance était sans limite: sur Terre, rien ne pouvait lui être comparé.
Les Tacidïns, gardes personnels d'Ornicalc, ne bougèrent pas de ces portes pour renforcer leur défense, et laissèrent sans scrupule ni aucun regret tuer les troupes perdues de leur maître, qu'on pouvait aisément sacrifier. Elles étaient viles, et on en avait trompé les membres, leur promettant de grandes choses, mais pour mieux les manier à la guise du général, qui avait aussi le pouvoir de tisser de luisantes illusions. Tel est habituellement le destin des gens qui se laissent séduire par de mauvais anges, ou de mauvais génies.
Finalement, Solcum demanda aux elfes d'Ëtön de revenir: car ni lui ni son ami Louis n'étaient partis à la poursuite des guerriers d'Ornicalc, ils n'avaient pas participé à cette horrible vengeance, ayant même tenté de la modérer. Mais, dans de tels moment, les furies sont si actives, si présentes, qu'il est impossible de ramener à la raison les âmes. Même, deux chevaliers de saint Louis, simples mortels, parmi les trois qui avaient combattu, avaient commencé à participer à la poursuite; et Louis avait eu du mal à les faire revenir, leur envoyant message sur message, et leur interdisant de laisser la rage s'emparer de leur cœur, et de prendre le risque de poursuivre l'ennemi jusque dans ses antres. Il s'agissait de Thibaut de Bar et d'Alphonse de Poitiers, seul Imbert de Beaujeu restant auprès de son maître, qui l'avait appelé, et dont il avait entendu l'appel, demeurant l'esprit clair malgré la vue du sang et les fumées de la mort emplissant tout l'espace. Mais quant à Thibaut et Alphonse, leur tempérament était fort, et le sang qui bouillonnait dans leurs veines leur avait obscurci la vue et assourdi les oreilles, et les pâles furies s'étaient emparées de leur cœur, et ils poursuivaient sans relâche leurs ennemis, pour les tuer et les anéantir. Ils se souvenaient, encore, du danger qu'avaient couru Louis et ses amis les plus chers, qu'eux-mêmes avaient côtoyé en pensant leur dernière heure arri ver, et ils ne parvenaient pas à ôter de leur âme la rage de la vengeance, le désir d'anéantir ceux qui avaient incarné ce danger, étaient sortis des ténèbres pour le cristalliser, et les avaient livrés à la peur sans scrupules ni pitié. Ils voulaient le leur faire payer, et éradiquer leur ignoble menace.
Mais finalement, Louis parvint à les faire revenir, quand l'ennemi, plongeant dans des puits s'enfonçant au fond de grottes, dans les montagnes entourant la forteresse d'Ornicalc, découragea les plus braves et les plus ardents de les poursuivre plus avant, faisant ressortir, de ces failles dans la terre, le péril aux cent yeux, la fumée du danger aux bras mouvants et aux mains griffues et longues. Ils s'en retournèrent, et tous furent bientôt réunis dans le château d'Ëtön; seules quelques troupes furent placées à distance de la forteresse d'Ornicalc, pour tenir ses gardes et ses derniers guerriers intacts en respect, ainsi qu'au pied des montagnes où avaient disparu, dans des grottes, les troupes en fuite de ce seigneur infect. Car les elfes savaient que sous terre ces gens se rassemblaient, se réorganisaient, préparaient une revanche, une sortie, et ils voulaient être là quand cela arriverait, ou empêcher que cela n'arrive en restant là, surveillant et se tenant prêts dans la vallée, où coulait la rivière Asinel.
Mais il temps, lecteur, de laisser là cet épisode, pour renvoyer au prochain, qui fera part de la disparition inopinée de Robert d'Artois, frère du roi saint Louis.